En 1789, le seigneur de Cuges est une femme : dame « Gabrielle Charlotte de Gautier de Girenton de Gravier de Pontevès » est maîtresse des lieux depuis 1772.
Madame de Cuges ne fait pas partie de ces membres de la noblesse qui, sensibles aux idées des Lumières, font preuve de modernité. Au contraire, très attachée à la défense de ses privilèges et de ses droits féodaux, elle s’oppose à la communauté villageoise, non sans parfois quelques roueries, et ce bien avant la Révolution.
A partir de 1789, la tension entre villageois et seigneur va croissant et atteint son paroxysme au cours de l’été 1792. Les villageois ont alors appris que les deux fils de Gabrielle Charlotte, largement encouragés par leur « scélérate de mère », ont émigré. De plus, ils se sont enrôlés dans les troupes ennemies. Pire encore, les villageois ont découvert que la dame de Cuges, comme si « les usurpations de toute espèce, les vexations les plus odieuses » ne suffisaient pas, s’apprête à vendre son blé aux adversaires de la République... Furieux, quelques villageois se rendent alors au château, s’emparent du blé et de toutes les réserves. Aux deux cents charges de blé (environ trois tonnes), s’ajoutent rapidement deux tonnes de câpres et plus de mille hectolitres de vin. Profitant de cette visite au château, certains raflent au passage rentes et reconnaissances de dettes...
Mais la dame de Cuges entend bien réagir... Alléguant le pillage de ses biens et la perte de revenus qui en découle, elle réclame justice et dédommagement auprès du directoire du département. Ce dernier considère que les citoyens sont égaux devant la loi, et que la propriété est un droit aussi inviolable que sacré. En conséquence de quoi, « toutes les denrées saisies devront être restituées ». Le 8 janvier 1793, quand le village prend connaissance de l’arrêté, c’est l’émeute. Les villageois en colère investissent et dévalisent le château, a priori sans que les domestiques ne leur opposent la moindre résistance. La liste des objets volés est pour le moins conséquente...
Le même jour, un incendie ravage le dernier étage d’une tour du château. Les maçons consultés au cours de l’enquête déclarent qu’il s’agit d’un incendie purement accidentel, provoqué par un banal feu de cheminée...
Les démêlés entre les villageois et celle qui est devenue la citoyenne Girenton Gravier se poursuivront bien au-delà de la période révolutionnaire. Néanmoins, malgré la haine qu’elle aura accumulée contre elle, la dame de Cuges ne sera jamais molestée par les gens de Cuges. Il est vrai qu’il y a de fortes chances pour qu’elle ait quitté les lieux aux premières heures de « la tourmente » !...
En 1793, la royauté a été abolie, Louis Capet a été guillotiné, mais la jeune République est attaquée de l’intérieur comme de l’extérieur. Napoléon Buonaparte a reçu le commandement de l’artillerie au siège de Toulon, devenu fief des « blancs ». Les combats font de nombreuses victimes : les troupes républicaines sollicitent le secours des communes avoisinantes. Cuges doit fournir vivres et matériel. Quelques mois plus tard, Robespierre est guillotiné à son tour. Vient le temps des représailles, notamment en Provence où, prélude à la Terreur blanche, commence une période de grande violence dont Jacobins et soldats de la République sont la cible. Cuges doit héberger les soldats blessés au château, transformé pour la circonstance en hôpital de campagne. Les victimes vont y décéder les unes après les autres : entre 1794 et 1795, cent soixante-treize soldats meurent au château.
C’est également en 1794, le 1er août pour être précis, qu’est célébré à Cuges le mariage civil de Joseph Buonaparte, frère de Napoléon, avec Marie-Julie Clary.
La cérémonie religieuse a lieu non loin de Cuges, dans la petite chapelle du domaine de Julhans, propriété de la famille Clary.